Golfe Persique ou Arabique ? Donald Trump ravive une querelle qui excède l’Iran
Alors que Donald Trump entame mardi une tournée dans les pays du Golfe, l'évocation d'un changement de nom du golfe Arabo-Persique en "golfe Arabique" il y a une semaine a provoqué la colère de Téhéran et ravivé une querelle toponymique ancienne. Car derrière ce changement de nom symbolique se cachent des enjeux identitaires, stratégiques et géopolitiques.

Après avoir renommé le golfe du Mexique en "golfe d'Amérique", Donald Trump envisage désormais de s'en prendre au golfe Arabo-Persique (*). Selon deux responsables américains qui se sont récemment confiés anonymement à l’agence Associated Press, le président prévoit d’annoncer, lors de sa tournée de trois jours – de mardi 13 à jeudi 15 mai – en Arabie saoudite, au Qatar et aux Émirats arabes unis, que les États-Unis désigneront désormais cette étendue d’eau sous le nom de "golfe Arabique" ou "golfe d'Arabie".
Il n'en fallait pas moins pour exaspérer les autorités iraniennes. L'annonce, bien que non officielle, a immédiatement provoqué la colère de Téhéran. Quelques heures plus tard, le président américain a tenté de temporiser, indiquant qu’il préciserait sa position au cours de son voyage dans la région. "Je vais devoir prendre une décision", a-t-il déclaré depuis le Bureau ovale. "Je ne veux blesser personne. Je ne sais même pas si quelqu’un sera offensé ou non."
Si Donald Trump semble vouloir faire plaisir à ses hôtes arabes, qui font pression pour un changement de nom depuis des années, il s'est en tout cas attiré les foudres de la classe politique iranienne.
"Un don de Dieu"
Le chef de la diplomatie iranienne Abbas Araghchi en premier lieu a déploré sur X que "les tentatives politiques visant à modifier le nom historique du golfe Persique révèlent une hostilité manifeste envers l'Iran et son peuple et doivent être fermement condamnées".
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Le modéré Mohammad Javad Zarif, ancien ministre des Affaires étrangères, a, pour sa part, affirmé que "l’usage d’un nom fictif pour le golfe Persique met en colère tout Iranien patriote, quelle que soit son orientation politique".
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Le sujet est allé jusqu'à s'inviter au Parlement iranien, largement dominé par les ultraconservateurs. Les députés du Majlis se sont directement adressés au président américain dans une déclaration acerbe. "Si vous aviez passé plus de temps à lire qu'à jouer, vous auriez peut-être compris que ce nom n'a pas été donné par l'or, la force, la tromperie ou la corruption – il a été conféré par l'Histoire", ont-ils assuré, tout en affirmant que "le golfe Persique et sa géopolitique sont un don de Dieu".
La question ressurgit en plein milieu d’importantes négociations sur le nucléaire iranien entre les États-Unis et l'Iran. "Or le geste du président américain n'est pas du tout perçu comme amical. Si jamais il est officialisé, cela pourrait recréer une nouvelle fois de vives tensions à un moment où la confiance entre les deux pays est un point clé des discussions en cours", souligne Jonathan Piron, historien spécialiste de l'Iran à Etopia, un centre de recherche belge.
Consensus iranien
Les autorités iraniennes ne sont pas les seules outrées par le projet de Donald Trump. "Même dans la diaspora et dans les mouvements qui sont hostiles au régime iranien, on retrouve une unité dans la défense du terme de 'golfe Persique'. C'est un terme géographique qui a un sens très fort pour eux, qui fait partie de leur identité iranienne", commente Jonathan Piron
Depuis l'époque du shah, les gouvernements iraniens ont toujours défendu avec véhémence le nom "golfe Persique" comme seul légitime. L’héritier du souverain déchu, Reza Pahlavi, considéré comme l’une des figures de l’opposition en exil, a donc lui aussi réagi au projet américain. "La décision rapportée du président Trump de déformer l'Histoire, si elle est vraie, est une insulte au peuple iranien et à notre grande civilisation", a-t-il écrit sur X. "Le golfe Persique n’est pas seulement un nom, mais une réalité historique."
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Bataille internationale
Du côté de l'ONU, l’usage est d’employer l'expression "golfe Persique". Un rapport de 2006, rédigé par un groupe de travail des Nations unies, a constaté l'unanimité des documents historiques sur ce terme, mentionné par le roi perse Darius Ier dès le Ve siècle avant J.-C., puis utilisé tout au long de l'Histoire sur des cartes, des contrats et dans la diplomatie.
Les termes "golfe d'Arabie" et "golfe Arabique" sont cependant prédominants dans de nombreux pays du Moyen-Orient. "Les tentatives de le rebaptiser ainsi émergent au cours des années 1950 dans le cadre de l'expansion du nationalisme arabe porté par Nasser, qui voulait unifier l'ensemble de la région", explique Jonathan Piron.
Une dénomination adoptée par plusieurs cartes britanniques de l’époque, dans un contexte de détérioration des relations entre l'Iran et le Royaume-Uni, après la nationalisation de la compagnie pétrolière britannique Anglo-Iranian Oil Company entre 1950 et 1954, restée en travers de la gorge de Londres.
Revendication sur un espace géographique stratégique
Mais au-delà du sentiment nationaliste, l’enjeu est aussi politique, souligne Jonathan Piron. Le choix des termes manifeste une revendication portée sur un espace géographique stratégique. "Le Golfe est incontournable pour le marché des hydrocarbures et donc aussi pour la stabilité du commerce mondial. Dès qu'il y a des tensions dans le golfe Persique, cela se répercute sur les prix du baril de brut. C'est d'ailleurs un élément sur lequel les Iraniens jouent très fortement, en menaçant de paralyser le détroit d'Ormuz [à l'embouchure du golfe Arabo-Persique, vers le golfe d'Oman et la mer d'Arabie, NDLR] en cas d’attaque", rappelle le chercheur.
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Aussi, les tensions sont récurrentes et les réactions iraniennes épidermiques. Plusieurs médias en ont fait les frais : des journalistes du National Geographic, puis de The Economist, se sont ainsi vu refuser des visas après avoir placé entre parenthèses la mention "golfe Arabique" sous "golfe Persique" dans un Atlas du premier média, et avoir écrit tout simplement "Le Golfe" pour le second.
En 2010, l'Iran avait averti que toute compagnie aérienne étrangère qui n'utiliserait pas le terme "golfe Persique" ne serait pas autorisée à utiliser son espace aérien. Et la même année, les Jeux de la solidarité islamique, organisés par l’Arabie saoudite mais qui devaient se tenir en Iran, avaient été annulés parce que les logos et les médailles devaient porter le nom de "golfe Persique", rappelle Middle East Eye.
Preuve – s'il en fallait encore une – de l’importance que revêt cette appellation pour l’Iran, les autorités célèbrent chaque année, le 29 ou le 30 avril, la "Journée nationale du golfe Persique", en mémoire de l’expulsion des Portugais du détroit d'Ormuz par Abbas le Grand en 1622. Des cérémonies sont organisées dans les villes côtières.
Le précédent du golfe du Mexique
Si Donald Trump décide de renommer officiellement le golfe Persique à la manière de ce qu'il a fait pour le Mexique, il devra passer par un décret.
Dès le 20 janvier, premier jour de son retour à la Maison Blanche, le président américain avait signé un texte changeant le nom du golfe du Mexique en "golfe d'Amérique", engendrant une mise à jour du Geographic Names Information System (GNIS) aux États-Unis, où toutes les références au Mexique ont été remplacées.
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Fin janvier, Google a indiqué avoir adopté à son tour l’appellation de "golfe d’Amérique". L’entreprise américaine a expliqué que les changements de nom étaient appliqués en suivant les sources gouvernementales officielles, comme le GNIS. Le Mexique, qui ne l'entend pas de la même oreille, a pour sa part lancé début mai, des poursuites contre le géant américain de la Tech.
Aucun pays ne peut imposer un nouveau nom à une zone géographique qui ne relève pas de sa souveraineté. Seule l'ONU, par l’intermédiaire de son Groupe d’experts sur les noms géographiques créé en 1960, s’emploie à harmoniser les toponymes à l’échelle internationale. Une tentative de rebaptiser un espace étranger, comme celle initiée par Donald Trump, n'aurait donc d’effet que sur les cartes américaines officielles. Mais si des acteurs privés tels que Google – dont les services de cartographie figurent parmi les plus utilisés au monde – décident d’embrasser cette nouvelle terminologie, la portée symbolique et géopolitique deviendrait bien plus significative.
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Dans le cas du golfe Arabo-Persique, Google Maps a déjà été épinglé par l'Iran. En 2012, l'application avait laissé l'étendue d'eau sans nom, suscitant la colère de Téhéran, qui avait alors menacé d’engager des poursuites judiciaires. Aujourd'hui, l’application affiche "Golfe Arabique" entre parenthèses sous la mention principale "Golfe Persique". Mais pour combien de temps ?
(*) La rédaction de France 24 nomme cette étendue d'eau "le golfe Arabo-Persique", tandis que la diplomatie française l'appelle "le Golfe Persique".